"Les Tribus Mascarines" est un roman écrit à La Réunion entre 2019 et 2020. Il s'agit d'une ode à cette île surprenante, à sa population chamarrée, à sa résilience et à son indubitable énergie. L'inspiration pour coucher ces mots sur papier a été puisée au coeur du volcan, dans les lagons multicolores, sous l'ombre réconfortante des filaos et dans la montagne intrépide au sein desquels serpentent des chemins vertigineux.
Synopsis
A La Réunion, les gens vivent désormais en autonomie. Sans nouvelles du monde extérieur, ils se sont organisés en tribu et survivent en échangeant leur savoir-faire. Ylisse, le fils du chef des Kitos, les navigateurs permanents, Albius, le jeune orphelin vivant chez les artistes-maraîchers que sont les Rasta Palmes, Ponni, la jeune et intrépide Amman, les gardiens de la spiritualité, Graf, le second du clan sanguinaire des Pilleurs ou encore Furcy, l’érudit logisticien de la tribu des Ouvreurs ne savent certainement pas qu’ils sont à l’aube de vivre un changement majeur sur leur île. Lorsque Karli, la prêtresse suprême, reste coincée sur le volcan, l’équilibre fragile de cette micro-société se rompt, le doute s’installe tandis que le mal s’insinue dans chacune des tribus...
Extrait 1
Lorsque Karli arriva aux abords du petit cratère, le soleil n’était plus qu’un pantin faiblard, balayant l’enclos de ses derniers rayons. Là-bas, derrière ces monts obscurs rougeoyait déjà un autre foyer qui mettait à mal la lumière de l’astre jaune, une présence céleste grise mais non moins éclairée. Karli sentit alors une force à l’œuvre : différente, transversale, une césure, une brèche. Puis, une vision miraculeuse se matérialisa sous ses yeux. Au sommet d’un des nombreux cratères, à deux cents pieds d’elle, elle vit l’énergie terrestre émerger de ses entrailles. Là, devant ses yeux amoindris par une cataracte qui la gagnait d’année en année, s’éjectait la chaleur irradiante du noyau, se formalisait l’impétuosité d’un territoire en pleine croissance. La lave s’éjectait de cet entonnoir grisâtre avec une puissance démesurée, par des nuées orange et rouge, comme si la Terre souhaitait envoyer un message de sa vigueur, de sa fougue. La décharge de magma s’accompagnait quelques fois d’une explosion sourde, comme le ressac puissant des vagues agitées contre les rochers d’une crique. Bientôt, le jaillissement de ce magma sous pression fut si fort qu’une coulée de lave prit congé de sa pouponnière et serpenta aléatoirement sur le flanc sud du cratère, comme un serpent rampant pour la première fois hors de son terrier.
Karli évolua sur le dôme du cratère jusqu’à ce que son pied traverse l’épaisseur fragile d’une coulée récemment refroidie. Sous le vrombissement de l’éruption, elle retira alors son pied du sol et s’assit en tailleur tout en enfonçant son bâton dans la roche sous laquelle la lave coulait. Elle plaça ses deux mains à l’extrémité du bâton, ferma les yeux et incanta la formule qu’elle faisait à chaque fois qu’elle venait ici, depuis quarante ans. Au début, sa voix était faible et criarde, entrecoupée par le bruit du volcan qui tonnait à côté d’elle. Puis sa voix s’éleva de manière graduée pour se transformer en cris et finalement en hurlements.
– Acutta āvi, veḷiyē vāruṅkaḷ… !
Son corps se mit à trembler et son buste commença à osciller de droite à gauche comme un pendule inversé. Sa tête enfin se mit à basculer de tous côtés comme si elle n’était plus qu’une marionnette guidée par un être suprême. Les tremblements du bâton fendaient concentriquement la roche, éjectant des grains de poussière dans l'atmosphère. Il fallait conjurer l’impur, le repousser au-delà du monde des humains. L’impur qu’avaient accompli les gens de sa tribu et des autres tribus d’ailleurs, ceux et celles qui s’étaient accoutumés au vice de la viande, du sexe, de la mauvaise pensée, et bien d’autres encore. Lorsqu'une violente gerbe de lave s'éjecta du cratère, arrachant un lourd grondement des entrailles de la Terre, l'énergie retomba et tout s’arrêta. Les convulsions de Karli se calmèrent, les vibrations qui tiraillaient son esprit s’évanouirent, le bâton retrouva sa position verticale fixe, le chaos s'était enfin tu. Mais ce qu’elle redoutait le plus était advenu, la césure s’était produite et un équilibre s’était rompu, irrémédiablement. Alors elle prit une grande inspiration, s’allongea sur le sol et ferma les yeux.
Le Flambeau de Fars est né de ses premières lignes en Iran durant l'été 2016. Le trajet qu'effectue le personnage principal est presque identique à celui que j'ai effectué et les personnages sont grandement inspirés de mes rencontres sur place. C'est donc dans un voyage coloré que l'on embarque, une aventure où l'on découvre des facettes étonnantes de l'Iran, de son passé et d'un futur imaginé ou fantasmé. Un angle un peu décalé pour appréhender ce pays frère, dont nous aimons intimement la littérature, le cinéma et la poésie.
Extrait 1
"Il se lève et me raccompagne vers la porte.
— Cela tombe très bien puisque je me rends à Shiraz, après Ispahan.
— Très bien, ma secrétaire va également vous donner le contact d’une professeure d’histoire de l’art à l’université d’Ispahan. Elle pourra vous fournir de la matière intéressante pour vos recherches.
Je le remercie de la tête mais j'ai l'impression qu'il est de nouveau préoccupé. Désormais à quelques mètres du climatiseur, il recommence à transpirer.
— Mais où étiez-vous avant cela ?
— A Jolfa, répondis-je, laconique.
Cette fois, il penche la tête en arrière et me prend le bras avec sa main imposante et poilue. Il a les yeux écarquillés.
— Vous arrivez de Saint-Stephanos ?
— Oui, c'est exact. Pourquoi est-ce si important ?
— Qui avez-vous rencontré là-bas ?
— J’ai demandé à un vieux moine d’avoir accès aux archives. Pourquoi ?
Une grosse goutte de sueur descend lentement sur la joue de Rahmani. Après avoir lâché mon bras, il inspire profondément et referme la porte, le regard dans le vide.
— Avez-vous remarqué quelque chose de particulier là-bas ? interroge-t-il sans me regarder. Avez-vous été suivi après votre visite ?
— Non, je ne crois pas, je ne me souviens pas.
Rahmani s’approche de la fenêtre, ajuste ses lunettes rectangulaires et jette un œil attentif à travers les persiennes qui laissent fuser une lumière diffuse dans la pièce.
— J’ai vu quelqu’un qui me paraissait étrange, dis-je à retardement en me remémorant l’individu vêtu de cette étrange tunique.
Rahmani ne se retourne pas mais s'est figé devant la fenêtre.
— Avez-vous vu son visage ? Comment était-il habillé ?
— Il portait une tunique grise, longue et échancrée au niveau des manches mais je n’ai pas vu son visage. Une sorte de caftan mais de mode très ancienne.
— Etes-vous sûr de vous ? Nouri… Ne bougez pas de ce bureau ! m’ordonne-t-il.
Il part en coup de vent, me laissant interdit. De quoi ou de qui a-t-il peur ? Et de quel mal le professeur Nouri aurait-il pu me prévenir ? Il me faut retourner dans ses notes, j’ai dû manquer quelque chose.
**
Le bus fend à grande allure l’air brûlant et sec du désert En plissant les yeux pour m’abstraire du paysage flouté par les ondes de chaleur, j’aperçois les montagnes aussi arides que régulières de l’Elbourz. En contrebas, des troupeaux dispersés de chèvres et de moutons cherchent désespérément une herbe verte. Occupé à vociférer pour les faire avancer, leur berger semble lui aussi chercher de l’ombrage. Lorsque j’aperçois les premiers immeubles de Téhéran, j’ai quelques regrets d’avoir quitté ma contrée montagneuse verdoyante. Epousant les pieds des montagnes de l’Elbourz, la ville tentaculaire est auréolée d’un nuage de pollution. Ce halo grisâtre côtoie allégrement les hauts buildings de verre et d’acier de cette pieuvre urbaine, peuplée de près de neuf millions d’âmes. Ce n’est pourtant pas la première fois que j’y mets les pieds, mais je suis chaque fois plus effaré par ce que l’humain a pu construire sur l’emplacement d’une oasis dont la source était à l’époque intarissable.
L’entrée de ville ou disons ces abords mettent déjà le visiteur devant les constructions faramineuses que des grues s’évertuent à élever. Des blocs de bétons perdus dans le désert tendent leurs tiges métalliques vers les cieux, se préparant à accueillir les populations rurales éjectées malgré elle d’une campagne qui se meurt. A côté de ces grandes constructions, des hameaux de quelques maisons chétives attendent tranquillement d’être avalés par le Grand Téhéran, un projet urbanistique sans équivalent dans la nouvelle Perse.
L’image du visage apeuré de Rahmani m’a obsédé toute la route. Je me demande si j’ai eu affaire à un illuminé ou si je suis réellement sur une piste dangereuse. Après avoir finalement quitté les bureaux de l’association sans le revoir, j’ai envoyé un courrier à sa secrétaire en les remerciant chaleureusement pour leur accueil. Pour le moment, je n’ai pas reçu les noms et coordonnées promis. Il y a en Iran toutes sortes de rumeurs sur l’omniprésence des services secrets iraniens ou étrangers et sur des complots instillés par les puissances étrangères. A l’université de Téhéran, il n’était pas rare de voir des chercheurs devenir paranoïaques lorsque leurs recherches se rapprochaient de la politique stratégique du gouvernement. Souvent, il ne s’agissait que d’élucubrations sans fondement. Mais je crois savoir que Rahmani a déjà fait les frais de son engagement militant en étant envoyé plusieurs mois dans les geôles."